dimanche 13 décembre 2015

MULHOLLAND DRIVE (DAVID LYNCH)

MULHOLLAND DRIVE
(DAVID LYNCH)
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Avec son esthétique de l’étrange et du bizarre, D. Lynch rebute ou fascine son spectateur : nous livre-t-il un film sans véritable signification en jouant sur les ambiances et les atmosphères, ou applique-t-il un codage symbolique précis et implacable ? Analyse de Mulholland Drive. Nous reproduisons ici une fiche de film que nous avons rédigée pour l'INSAS (Bruxelles) et qui est déposée à la bibliothèque de cette école.

Mulholland Drive et le rêve d'après la psychanalyse freudienne.

Le film de D. Lynch est probablement l'illustration sous forme cinématographique de deux postulats de la théorie du rêve chez S. Freud. Le réalisateur semble en effet reprendre deux principes qui permettent de comprendre le sens de chaque scène ainsi que leur signification mutuelle :
Afficher l'image d'origine- Même si Freud nuancera cette idée dans « Au-delà du principe du plaisir », le rêve est chez l'adulte la satisfaction de manière déguisée d'un désir, peu importe son objet (amour, sexe, réussite, vengeance, homosexualité...).
- Le rêve est aussi « le gardien du sommeil » : le sujet continue à dormir pour satisfaire ainsi son désir. Dans la mesure où les éléments oniriques proviennent de la réalité, le rêveur risque de s’éveiller en prenant conscience que sa perception n'est pas celle du réel. Il doit donc continuer à croire en ce qu'il perçoit et ne doit aucunement savoir qu’il rêve : autrement, son sommeil prendrait fin. L'inconscient détruit donc tous ces éléments afin que le désir puisse se poursuive et s'assouvir.

Application cinématographique du premier principe
Le film s'organise autour d'une trame principale qui se divise en deux parties : la première, où le spectateur assiste à un rêve. Une seconde où le spectateur assiste au retour au réel qui succède au sommeil. Le résumé principal pourrait s'effectuer ainsi : après un concours de danse où elle est récompensée, l'héroïne va à l'aéroport pour partir à Hollywood. S'ensuit une scène très rapide en apparence étrange (on perçoit en effet un lit, puis un gros plan sur un coussin et une couverture : il s'agit de l'endormissement du personnage, indiquant indirectement alors que ce à quoi on va assister est le commencement du rêve). Le retour à la réalité s'effectue à partir de l'ouverture de la boîte par l'héroïne aux cheveux noirs (Rita) puisqu'on retourne dans la chambre où l'endormissement a eu lieu.
- Premier exemple de séquence : dans la réalité, nous comprenons que la jeune femme blonde est éperdument amoureuse de l'héroïne brune (Camilla) qui lui annonce la rupture de leur relation qui semblait déjà en crise. Dans le rêve, au contraire, son désir amoureux est totalement assouvi (harmonie affective et sexuelle). Satisfaction, donc, du désir amoureux.
Afficher l'image d'origine- Second exemple de séquence : dans la réalité, nous comprenons que le mariage de Camilla avec le réalisateur est l'obstacle au bonheur de Betty. Son annonce provoque un début de dépression. Aussi, dans son rêve, Betty satisfait un désir de vengeance : le réalisateur en effet ne maîtrise plus son film, n'a plus d'argent, se fait cogner, est cocu (avec une blonde et pas une brune!), et se fait terroriser par un mystérieux cow-boy. Satisfaction, donc, d'un désir de vengeance.
- Troisième exemple de séquence : dans la réalité encore, lors d'une discussion, le spectateur comprend que Betty a voulu 'être une star mais n'a connu que des seconds rôles. Au contraire, dans son rêve, elle est adulée et acclamée lors de son audition. Alors que dans la réalité personne ne semble s'intéresser à elle, tous les yeux dans le climat onirique sont tournés dans sa direction. Désir de gloire et de reconnaissance sont donc satisfaits.
- Quatrième exemple de séquence : à nouveau, dans le réel le spectateur peut comprendre l'image illusoire que Betty se fait de Hollywood, elle qui pensait avoir des conditions de travail optimales (une belle maison) et des partenaires idéaux (dans son rêve, Camilla – amnésique - décide de s'appeler Rita en regardant dans la salle de bain le portrait d'une ancienne star américaine sur une affiche : Rita Hayworth). Or, dans la réalité, nous pressentons plutôt le règne de la corruption, des relations adultères de cette nouvelle star (Rita embrassant cette femme qui est le « this is the girl » apparaissant dans son rêve). Ainsi, Betty vit dans une misérable maison sombre et déserte, contrairement à l'appartement lumineux, meublé et ensoleillé de son rêve. Une satisfaction matérielle et idéale règne ainsi dans son monde onirique.

Application cinématographique du second principe :

Résultat de recherche d'images pour "mulholland drive"Dans la mesure où la réalité n'est pas à l'image du désir, le rêve de Rita doit éliminer la présence d'éléments gênants qui rappellent à la rêveuse que ce qu’elle perçoit n'est qu’artifice. Le songe doit se poursuivre et la rêveuse croire en ce qui est perçu. L'inconscient détruit la nuisance réelle pour la protéger de la vérité et de la réalité. Ce qui explique les scènes les plus étranges en apparence du film. Scène du tueur à gage : ce dernier est engagé pour organiser l'assassinat de Camilla lors de son trajet en limousine. Betty aime pourtant dans la réalité sa compagne malgré sa haine. L'accident au début du film est le signe de ce refus de la savoir mourir pour permettre une nouvelle histoire entre elles, un nouveau départ. Camilla ressort donc amnésique de l'incident et non sans hasard. Il lui faut en effet oublier qui elle est ainsi que ses conflits avec son ancienne amante lorsqu'elles se rencontreront à nouveau. Amnésique, le rêve peut donc continuer puisque grâce à cette aphasie le retour du réel ne menace plus : elle s'appelle Rita.
Ainsi, une nouvelle histoire peut naître entre elles : raison pour laquelle les deux héroïnes ont un nom qu'elles n'ont pas dans la réalité. Ce qui leur permet symboliquement de recommencer leur histoire ratée, et de manière harmonieuse cette fois-ci. Ce qui permet aussi de comprendre la scène dans le restaurant où en observant une serveuse de café qui lui ressemble physiquement, l'héroïne regarde son prénom sur l'étiquette (Betty en l'occurrence). Ce nom sera celui qu'elle possédera dans le rêve – preuve qu'elle veut oublier ce qui s'est réellement passé afin de recommencer son histoire. Celle qui bientôt s'appellera Rita a pourtant la sacoche de Betty remplie d'argent lorsqu'elles se rencontrent (seule la suite du film permet de comprendre son origine puisque cet argent sale est celui que Betty offre au tueur). Que doit faire Betty si ce n'est justement cacher cette sacoche au fond d'un placard pour ne plus la voir et y penser ? Etrange quand on sait la somme contenue. Il faut donc qu'elle camoufle les traces de ce réel intrusif qui ne doit plus apparaître pour que, à nouveau, son rêve puisse continuer.
Afficher l'image d'origine- Dans la deuxième partie du film, Betty est présente dans un snack où elle rencontre le tueur à gage à qui elle montre la photo de la cible à éliminer. Le tueur lui demande de ne pas la dévoiler en public. A cet instant, un jeune homme (brun aux cheveux courts) les surprend. Il comprend que quelque chose de crapuleux se trame entre la blonde et cet homme douteux. Dans la première partie du film, cet homme se présente dans un snack (le même que celui où se trouvait Betty avec le tueur) pour voir le patron. Il lui annonce avoir vu en rêve un danger, un homme suspect (justement, ce tueur entre-aperçu réellement). Ce jeune homme présent dans son rêve est dangereux pour Betty car il lui rappelle la réalité et elle risque alors de se réveiller. Il se passe donc très logiquement ceci : l'homme sort du snack avec le patron, et meurt en rencontrant un homme suspect. Une fois mort il sort du rêve qui peut donc continuer. La révélation aurait en effet dissipé le rêve et Betty se serait éveillée. Quant au tueur à gage qui apparaît, il ne rencontrera jamais Betty (contrairement à ce qui se passe en réalité), et semble rechercher une jeune femme dont on ignore le nom (et non sans hasard à nouveau). Il apparaît maladroit et inefficace, et donc sans réel danger (contrairement dans la réalité où il annonce à Betty que sa décision sera irrémédiable).
- En réussissant son audition (dans le rêve), toute l'équipe propose à Betty d'aller directement voir le réalisateur. Lorsqu'ils se surprennent mutuellement du regard, ils semblent se connaître sans toutefois se reconnaître. On comprend la raison de cette étrange familiarité dans la deuxième moitié du film, puisque ce réalisateur n'est rien d'autre que le futur marié de Rita entre-aperçu par Betty déjà sur le lieu de tournage (la scène du baiser entre lui et Rita dans la voiture sur le plateau. Le rêve se passe d'ailleurs dans le même endroit). Son rêve risquerait alors de se détruire si elle décidait de rester avec le metteur en scène. Elle sait dans la réalité que celui-ci ne l'a pas choisie – raison pour laquelle dans le rêve une autre fille est désignée (une autre actrice). Elle décide de s'enfuir à cet instant pour poursuivre son rêve.
- Lorsque les deux jeunes femmes décident d'aller dans l'appartement de (celle qu'elle croit être à tort) Rita, elles découvrent une jeune femme allongée sur le lit. Cette jeune femme n'est autre que Betty qui, actuellement, est dans son appartement et qui rêve. Mais elle est justement ici méconnaissable. Il faut qu'elle soit impossible à identifier sinon Betty comprendrait qu'elle ne fait que rêver. Raison pour laquelle elle sent un malaise et fuit le lieu. Les deux jeunes femmes décident donc de quitter l'appartement, et le rêve se poursuit grâce à l'impossible identification de Betty (que le spectateur ne peut comprendre qu'en percevant la suite du film – notamment quand elle se réveillera dans le même appartement).
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Afficher l'image d'origine- La meilleure scène illustrant le second principe freudien, toujours dans la même logique, est celle où Rita, dans son sommeil, recouvre la mémoire en évoquant « silencio ». Retrouver ainsi la mémoire, c'est risquer de se rappeler le réel, les véritables événements qui ont du être détruits dans le rêve pour que celui-ci fonctionne comme désir de satisfaction. Les deux héroïnes décident d'assister au spectacle. Le spectateur découvre alors une dissociation entre la réalité et les apparences au sein de la mise en scène : en effet, la musique et les sons sont très beaux et donnent l'impression d'être vrais (trompette, trombone, femme qui chante). De fait, le trompettiste ne joue pas, la chanteuse ne chante pas. Il ne s'agit que d'artifices et d'une mise en scène. Les deux spectatrices commencent donc à s'inquiéter et à pleurer, puisque ceci est un présage : en effet, cette représentation suggère qu'il en est peut-être de même dans leur vie - et si tout n'était qu'apparence et illusion : cette belle vie, cette belle réussite : ne sont-ce pas des artifices du rêve et de l'inconscient ? N'y a-t-il pas une mise en scène de l'inconscient qui fait croire à Betty qu'elle est actrice, qu'elle est aimée ? Les deux jeunes femmes décident donc de fuir – Toutefois, une fois rentrées chez elles, nos deux héroïnes n'adoptent pas le même comportement. Rita veut ouvrir la boîte qui contient symboliquement les réponses. A cet instant, elle appelle Betty, qui, sans surprise, a disparu. Betty ne doit pas assister à l'ouverture de la boîte sinon son rêve s'auto-détruit. Mais cette fois-ci, à cause de l'ouverture, elle est obligée de sortir de son sommeil pour retourner dans la réalité et s'y confronter.